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Nous avons rencontré M. Bensoussan, Directeur Financier opérationnel du groupe Partouche – 405 millions de chiffre d’affaires et près de 5.000 collaborateurs – et avons eu l’occasion d’échanger sur sa vision du métier de DAF et notamment sur la nécessité de la faire évoluer vers plus de collaboratif.

Retrouvez la première partie de cet entretien ici.

Après avoir évoqué la mutation nécessaire de la fonction finance qui doit se libérer des enjeux de pouvoir pour devenir plus collaborative, nous poursuivons nos échanges avec M. Bensoussan sur la façon dont il met en pratique cette conviction au sein de son organisation.

Quels sont les freins à cette volonté de collaboratif ?

Si vous lisez la littérature sur les entreprises, la majorité des personnes est d’abord dans la satisfaction de leur crédibilité et la preuve de leur légitimité à travers leurs actions. La difficulté vient de l’humain qui veut qu’on lui dise qu’il a bien fait sans se mettre d’accord, ce sur quoi il attend d’être jugé…

Ce qui m’intéresse dans le travail avec les opérationnels, ce sont les échanges que nous avons ensemble, l’ouverture, l’analyse de ce que l’on a su faire ensemble, la discussion sur les problématiques d’administration ou des systèmes d’information, sur ce qui est confidentiel, le partage des données, la façon de les structurer, l’animation du réseau interne en croisant les données opérationnelles et financières et le bilan de ce que nous pouvons collectivement retirer de tout cela.

Je rencontre trop souvent des DAF qui demeurent dans leur tour d’ivoire, qui ne veulent pas en sortir. C’est stérile ? Je défends ma vision de DAF utile et pertinent dans mon entreprise, au côté des opérationnels, en support.

Ça implique d’être plus disponible et de ne plus regarder vers les enjeux de pouvoir : on a cette légitimité d’être écouté, c’est acquis. Il faut s’en servir avec et pour les autres. Il est nécessaire de sortir de sa tour d’ivoire, de regarder autour de soi. De plus, les collègues des autres métiers, je vous le garantis, sont contents de nous voir parce que nous avons des savoir-faire utiles, nous savons gérer des informations complexes, financières, business, de la confidentialité, des croisements de données…

Évidemment, de temps en temps, il m’arrive aussi de revenir dans ma tour, car le terrain de jeu extérieur peut être hostile, car mine de rien, le partage ça s’apprend aussi et cet apprentissage peut être usant parfois tant les autres opérationnels sont eux encore dans la conquête de la légitimité autour de ces notions de pouvoir. J’attends beaucoup des jeunes générations de ces métiers sur ces sujets.

Vos pairs, qui n’ont pas toujours une position aussi pérenne que la vôtre, sont-ils d’accord avec vous ?

Souvent, mes pairs partagent l’essentiel de ce point de vue lorsque nous échangeons, même si ça leur est parfois plus difficile. Un nouveau DAF doit bien sûr en premier lieu valider sa légitimité et crédibilité personnelle, mais pas celle de sa fonction. Là est souvent l’erreur dans l’action au quotidien. Occasionnellement, il est également confronté à une forme de management des directions qui ne lui permet pas d’incarner un management plus ouvert, plus transversal, moins craintif et protectionniste.

Dans tous les cas, ce qui est important, c’est de travailler en bonne intelligence et de ne pas perdre son temps en actions stériles. Parfois ce n’est pas grave du tout que le DAF joue un second rôle, voir aucun dans une bataille si cette bataille est in fine gagnée collectivement de la meilleure des façons. Participer à tout n’est pas essentiel, participer à l’essentiel est l’objectif à atteindre. Pour cela, il faut travailler sa pertinence et sa modularité, sa pluralité d’action opérationnelle.

Si je peux comparer à un collectif sportif, la clé, c’est toujours de s’entrainer, d’être toujours au top, toujours disponible pour l’équipe et tourner vers l’action. Et le chef d’entreprise, en bon coach, pour chaque match va sélectionner les joueurs dont il a besoin sur le terrain en fonction de l’enjeu. À lui de ne pas se tromper.

Il faut prendre l’habitude de revoir les formes de management et les nouvelles générations qui jouent beaucoup plus collectif que nous vont nous y aider, à condition que nous ne leur fassions par miroiter ces tours d’ivoire. Celles-ci sont – et il faut bien le leur faire comprendre – des mirages absolus – et que les nouveaux venus doivent rester dans cet état d’esprit du collaboratif et du collectif, car c’est ce qui va nous permettre de changer en profondeur nos organisations. Le devenir de chacun est lié après à ses capacités et le leadership s’imposera autour de valeurs partagées.

Cet état d’esprit qui est une vraie valeur ajoutée de la nouvelle génération – parce qu’elle a aussi, comme nous les avions, ces compétences techniques – doit être enseigné et ancré au plus tôt. Jouer collectif doit faire partie du kit de démarrage, car si ce n’est pas acquis lors de la formation initiale, il est très difficile de l’imposer par la suite, l’entreprise étant en général construite autour des rapports de force.

Regardez le retour qu’on peut avoir des comités de direction : ce ne sont que trop rarement des personnes réunies dans un esprit collaboratif, ce sont le plus souvent des réunions de luttes d’influence, où l’on cherche des alliés sur un sujet en échange de notre soutien sur un autre. Mais l’entreprise n’a pas besoin de subir cela et il faut sortir de ces antagonismes et schémas obsolètes.

On peut se dire que seule la direction générale est en mesure d’imposer une règle du jeu claire, mais il est trop facile d’attendre que ça vienne d’en haut si l’on veut que les choses changent en profondeur. Nous devons, toute direction opérationnelle confondue, nous prendre en mains, montrer nos valeurs ajoutées et montrer que l’on avance bien mieux en combinant nos savoir-faire.

Qu’en est-il aux autres niveaux de la hiérarchie ?

Je vais vous donner un exemple : j’ai décidé de ne plus être dans un bureau seul, mais dans un open-space. C’est rare pour nos métiers financiers. Bien sûr, je dois parfois m’isoler, mais globalement ça fonctionne très bien.

Tout le monde n’a pas vocation à s’occuper de tout, mais il est très positif que toute l’équipe soit au courant de ce qui se passe, de responsabiliser les équipes sur la confidentialité ou sur la combinatoire, de donner l’accès maximum sur la surface des sujets à ces collaborateurs.

Ce qu’il en ressort, c’est que, si quelqu’un a une bonne idée, son émergence, son partage et sa validation se fait vite. Idem en sens inverse, si l’idée est moins pertinente, on n’est pas obligé d’intervenir, elle nait moins vite et disparait plus vite… Dans tous les cas, ceci permet d’agréger de nouveaux éléments et tous les talents à la prise de décision.

Plutôt que de créer des sous-sous structures, on assemble les sujets. Ça n’a pas grand sens de séparer le contrôle de gestion business, de la trésorerie, de la gestion budgétaire, de la consolidation statutaire, de la comptabilité générale, de l’analyse opérationnel et de l’administration des systèmes d’informations.

Cela ne crée que des silos de gens avec leurs codes, leur jargon et son cortège de points de vue antagonistes qui ralentissent la prise de décision rapide, intuitive et désintéressée. Tout est lié. J’ai la chance, en regroupant ce tout, d’être au cœur de l’information financière globale ; pour mes collaborateurs, c’est vraiment responsabilisant et ultra-motivant de toucher à tous les aspects des imbrications des métiers de la finance.

J’ai voulu cette évolution pour mon entreprise, car c’est ce qui ressort de mon observation de la meilleure gestion des flux possible au sein de l’entreprise. Dans notre holding pour gérer 4.200 personnes, nous sommes moins de 50, c’est assez ramassé et assez atypique. L’avenir est aux structures agiles avec beaucoup de transversalité et le partage de l’information en est une composante clé.

L’autre aspect central reste la structuration. Il faut des règles pour l’entreprise, mais des règles qui ne sont pas des dogmes, qui peuvent évoluer vite, se combiner et qui permettent de renforcer sans cesse la dimension collaborative des organisations.

Merci beaucoup M. Bensoussan pour vos éclairages sur l’évolution des métiers de la finance et d’avoir partagé votre expérience avec nos lecteurs.


Propos recueillis par Sylvie Ysambert et Nicolas Swiatek 

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